La gouvernance démocratique

Le mot démocratie est aujourd’hui communément employé pour désigner les démocraties représentatives occidentales, qu’il s’agisse de monarchies parlementaires, de républiques fédérales ou encore d’États centraux.

Hormis quelques rares exceptions, l’ensemble de ces « démocraties » sont des systèmes représentatifs où les citoyens élisent des représentants chargés de mettre en œuvre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La plupart du temps, la justice est exercée par des professionnels indépendants des deux autres pouvoirs.

Dans quelques rares situations, on permet aux citoyens d’exercer directement les trois pouvoirs: élections, référendums et jurys populaire.

Cette description est bien entendue schématique, chaque état ayant ses spécificités et ses modes de fonctionnement propres. Il est difficile de comparer les États-Unis (État fédéral) et l’Allemagne (également un État fédéral). Ici je ne rentrerai pas dans le détail de chacune des « démocraties » que nous connaissons, je laisse cela aux spécialistes de chaque domaine.

Le point que je voudrai aborder est plus large que la vision démocratique occidentale actuelle. L’idée de « gouvernance démocratique » peut revêtir un grand nombre de formes et de modes de fonctionnement.

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’une nouvelle conscience citoyenne, plus globale, plus internationale, et moins idéologique. Les grands mouvements syndicaux, politiques et religieux se sont essoufflés à travers le monde occidental. La conscience des jeunes générations et leur vision du monde se sont développées en même temps que l’essor d’Internet: la prise de conscience environnementale fut accompagnée par un accroissement du volume d’information et la naissance du « village mondial ».

Plus que jamais à travers l’histoire, les habitants de notre planète se sentent plus proches et plus reliés avec l’ensemble des autres États et de leurs citoyens. Le meilleur exemple est celui du mouvement AVAAZ, et de son réseau de près de 10 millions de membres, qui influencent les décisions politiques à travers le monde.

Les campagnes électorales évoluent également pour prendre en compte la dimension citoyenne (plus large que la dimension partisane) et Internet. Nous avons l’exemple de 2007 et du concept de « démocratie participative », je pense également la campagne de Barack Obama en 2008, et aux tentatives avortées de création de réseaux sociaux politiques en France.

L’évolution des modes d’information, la critique des médias classiques et de leurs connivences avec la sphère politique, et l’émergence de nouvelles sphères d’actions et d’interactions sont en train de transformer la manière dont se forge l’opinion publique et rendent le citoyen acteur de ses propres choix, qu’ils soient politiques, informationnels ou décisionnels.

Sur ce dernier point, la création de nouvelles méthodes de production décisionnelle est encore embryonnaire. Les outils techniques et les méthodes existent, mais ceux-ci sont encore sous-utilisés, et ce quelle que soit le domaine. En entreprise, l’émergence de l’innovation participative ne s’accompagne que rarement d’une évolution des processus de décision. Dans la sphère politique, les réunions publiques, les conseils de quartier, les réunions citoyennes pour l’élaboration des agendas 21, se limitent souvent à une audience extrêmement faible, et bénéficient d’un pouvoir essentiellement consultatif.

Il convient donc de recenser les outils et les méthodes existants afin d’en extraire les axes structurants, d’analyser les processus de production des décisions, qu’elle soient politiques, sociales ou économiques. Ces recherches permettront de dégager les fondements des modes de gouvernance de demain.

L’objectif étant d’obtenir des décisions meilleures, auxquelles les citoyens dans leur ensemble peuvent participer activement et de manière éclairée. C’est le sens de l’évolution démocratique. Nous avons les moyens techniques et les connaissances pour aller au delà du système représentatif. Ce dernier fait déjà figure d’archaïsme au regard des moyens dont nous disposons aujourd’hui et du niveau de culture, d’éducation et d’information de la population. Le seul obstacle qui subsiste est moral. Il faut démontrer, tester et valider de nouveaux outils décisionnels associant le citoyen, les experts et les acteurs économiques et sociaux, permettant d’élaborer des lois, des réglementations, des orientations économiques, des projets sociétaux…

Dès lors la voie sera grande ouverte vers une réelle démocratie, ou chaque citoyen est acteur des choix de la société dans laquelle il évolue.

Les outils de la gouvernance démocratique

Une gouvernance réellement démocratique implique de dépasser les modes de fonctionnement en vigueur actuellement dans la prise de décision.

Aujourd’hui, on considère que la prise de décision politique ou économique est le privilège d’un cercle restreint éclairé par ses études, ses titres ou ses fonctions. Qu’il s’agisse de décisions prises au sein des entreprises, associations, collectivités territoriales et bien entendu au niveau le plus haut, celui de l’État, on retrouve toujours ce système de cercle restreint d’oligarques ayant obtenu le privilège de décider pour l’ensemble de l’organisation.

Cet état de fait n’est pas une fatalité, il est possible d’imaginer et de mettre en application d’autres modes de gouvernance permettant d’élargir le cercle des décisionnaires habituels et surtout d’obtenir des décisions de meilleure qualité, ce qui est l’objectif principal.

Nous avons vu l’espoir suscité par le Grenelle de l’Environnement et son modèle à trois parties: la société civile (à travers les associations), les entreprises, et les personnes publiques (les collectivités territoriales et l’Etat). Ce type de modèle permet de mieux prendre en considération l’avis des différents acteurs concernés et de mieux impliquer toutes les parties  non seulement dans la prise de décision mais aussi dans la mise en œuvre des solutions retenues. Les compromis trouvés sont moins politiques ou idéologiques et tendent vers des solutions pragmatiques ménageant l’intérêt et les besoins des différentes parties.
On pourrait digresser longuement sur la mise en application du Grenelle, mais ce n’est pas le propos de cet article.

On peut également s’intéresser au Comité Consultatif  National de Bioéthique (CCNE), dont le fonctionnement et la composition (bien que restreinte), sont un modèle de démocratie. Ce comité ménage une place aux différentes confessions présentes en France, aux différents courants de pensée et également aux chercheurs dans différents domaines. Il a le pouvoir d’entendre toute personnalité susceptible d’éclairer son jugement. On peut regretter deux choses :           – Son pouvoir uniquement consultatif

– Sa composition restreinte

On pourrait multiplier à loisir les exemples d’instances décisionnaires ou consultatives qui tendent à introduire plus de démocratie dans leur fonctionnement face au constat de notre propension à concentrer les pouvoirs pour faciliter leur exercice. Le million d’associations actives, en France, qui donnent à leurs membres des pouvoirs plus ou moins étendus (afin d’en contrôler le fonctionnement et d’influencer leur action), sont autant de lieux d’expérimentation des pratiques démocratiques.

La question à laquelle j’aimerai répondre est la suivante:

Est-il possible de développer des méthodes, des moyens et des outils afin de permettre une prise de décision plus démocratique dans les organisations et ce qu’elle qu’en soit le type: économique, sociale ou politique? Et de permettre cet exercice de la prise de décision démocratique malgré la taille de ces organisations: de plusieurs milliers de personnes pour certaines entreprises ou associations jusqu’à plusieurs millions pour les organisations politiques, les collectivités territoriales et les états?

Les nouveaux outils de communication ont permis un accès plus facile à l’information, et ont ainsi amélioré incidemment la prise de décision. Le seul problème étant que, pour le moment, les processus décisionnels n’ont pas évolués. Une prise de décision centralisée a toujours tendance à nous rassurer. On préfère confier les pouvoirs à une instance restreinte quitte à créer des contre-pouvoirs dont le collège est également restreint. On redoute plus que tout l’immobilisme qui pourrait ressortir d’un partage équitable du pouvoir décisionnaire si ce dernier se retrouve bloqué ou retardé dans son action. On préfère donc une décision médiocre qui permet d’avancer à une bonne décision qui arrive trop tard. Mais encore une fois, ceci n’est pas une fatalité. On peut concevoir des processus et des outils qui offrent à la fois une grande qualité décisionnelle en alliant rapidité et sécurité.

Si nous faisons l’inventaire des outils collectifs offerts à travers Internet, on se rend compte qu’ils n’ont pas été pensés pour la prise de décision:

– les forums ne sont qu’un agrégat d’opinions rarement argumentées et au milieu desquels seul certains moteurs de recherche arrivent à trouver une information pertinente.

– Les réseaux sociaux sont fragmentés et privilégient l’instantané à la construction et à la hiérarchisation des idées et des points de vue.

– Les blogs, ne sont finalement qu’une modernisation des journaux classiques, mais ils permettent tout de même une interaction plus forte avec les lecteurs et surtout ils valorisent la construction des idées et l’argumentation de leur auteur.

Si l’on s’intéresse aux outils professionnels de collaboration ou de gestion de projets, on constate qu’ils ne sont pas pensés et conçus dans une optique de décision commune. Ils ont pour tâche principale de permettre l’agrégation d’informations et leur remontée vers le décisionnaire sous un format lui facilitant la tâche et qui finalement semble bien éloigné de la réalité.

Si l’on recherche des outils réellement collaboratifs et permettant
une co-construction riche de l’information, sa hiérarchisation, sa
confrontation pour permettre d’aboutir finalement à une prise de
décision commune sur un sujet donné, alors la liste se réduit
grandement. Pour ma part j’en connais deux:

– KMI Compendium :
il permet de créer des bases de connaissances collaboratives et de les
organiser spatialement pour une meilleure intégration cognitive, il doit
encore évoluer car il n’est pas encore adapté pour les groupes de
travail dépassant la
centaine de personnes (ce qui est déjà honorable!), sinon au prix d’un
effort considérable de maintenance. C’est un logiciel libre, il peut
donc être modifié pour s’adapter aux besoins de n’importe quelle
organisation.

Votorola Project : un logiciel libre en cours de développement
ayant pour objectif de fournir un outil de démocratie directe
fonctionnel aux grandes échelles. Il est encore en version Alpha et donc
pour le moment réservé aux développeurs, mais vous pouvez contribuer
(en anglais).

Il y a également la plate-forme « Buddypress » qui est une extension de « wordpress »
(la plate-forme de blog open-source la plus utilisée au monde) et qui
permet d’installer en quelques minutes sur son site les principales
fonctionnalités  d’un réseau social : Blogs, forums, profils, groupes,
partage d’articles, etc.… Mais encore une fois il lui manque de
véritables fonctions permettant la co-décision et la co-construction de
textes, d’idées, de débats structurés. Ces fonctions pourraient  voir le
jour sous la forme d’extensions du logiciel, puisque tout le monde (à
condition de savoir programmer) peut créer de nouvelles extensions,
c’est la magie de l’open-source ! C’est d’ailleurs ce qu’est en train de
créer Europe-Ecologie Les Verts à travers leur plate-forme
collaborative
qui est gérée sous WordPress et Buddypress, ce qui est
également le cas du site de votre serviteur.

Il existe certainement d’autres outils, et il est toujours possible de faire évoluer les outils existants, qui sont souvent des logiciels libres.

Je suis convaincu qu’il est possible et de surcroit, souhaitable de développer de nouveaux outils au service de la prise de décision démocratique. Et je suis également certain qu’une décision prise par le plus grand nombre est toujours meilleure qu’une décision prise par un nombre restreint d’individus. A la condition évidemment que l’on exige de l’ensemble des participants à une décision un socle commun de connaissances du sujet en complément de leur bagage personnel. On peut également imaginer une pondération des votes en fonction de la représentativité de chaque participant au sein de l’organisation concernée. La représentativité d’un individu au sein d’un groupe est la somme de plusieurs facteurs et caractéristiques, il peut s’agir de représentativité géographique, générationnelle, professionnelle, idéologique, philosophique. Il est évident que l’on ne réunira jamais l’ensemble d’une organisation pour prendre chacune des décisions, ce serait contre productif, et extrêmement consommateur de temps. De plus l’implication et l’efficacité des participants est fonction de leur intérêt pour les questions débattues. Même si chaque individu est libre de participer à l’ensemble des décisions, inévitablement les participants ne seront pas les mêmes en fonction des questions soumises au débat. Reste à mettre en œuvre les méthodes et les outils qui serviront au mieux ce type d’approche décisionnelle.